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"LA TUEUSE D'ERIKA"


“Huit millilitres de colorant, vingt de poison et dix-huit de pénétrant.” Jennifer se répète comme un mantra la recette de l’élixir qui lui permettra de tuer les érikas, ces fougères espagnoles invasives. “C’est étrange tout de même de détruire la nature pour la protéger !”. C’est pourtant bien ce que font Lelia et Travis. “Quelle vie extraordinaire que celle de cette famille quand même !” songe Jenny. Voilà près de quatre ans que le couple a décidé d’arrêter (pour un temps) de vadrouiller à travers le monde. Ils vivent dans la maison que Lelia et ses parents ont construite, il y a quelques années. Lelia est française, Travis canadien. Depuis trois ans, ils accueillent chez eux des voyageurs qui les aident ainsi à s’occuper de leur demeure et des terrains environnants. L’accueil y est chaleureux, amical pour ne pas dire familial. Lelia, la quarantaine, les cheveux bruns coupés court, est une femme dynamique, qui sait demander aux gens ce qu’elle est en droit d’attendre d’eux. Mais qui a toujours peur de donner trop de travail à ceux qu’elle héberge et nourri pourtant gratuitement. Travis, un peu bedonnant, est la gentillesse incarnée. Ses cheveux frisés dressés sur sa tête lui donnent un air jovial qui résiste à toute épreuve. Lelia est infirmière mais ne travaille qu’un jour par semaine. Travis, lui, s’occupe à temps plein de leurs jeunes enfants, Sylvain et Manon et de la maison. Cette vie semble réglée comme du papier à musique. Alternant boulot, celui qui permet de gagner de l’argent, et boulot, celui qui permet de vivre la vie que l’on a choisie. Un équilibre qui n’a pas forcément vocation à durer. Les parents de Lelia ne vivent plus ensemble. Sa mère habite un peu plus haut sur la même route. Son père, lui, continu de naviguer. Quand Lelia avait 7 ans, ils ont décidé de quitter leur france natal pour s’acheter un bateau et partir à travers le monde. Trois ans plus tard, ils arrivent en Australie, dans le Queensland, tout au nord. Une arrivée en terre australe pas forcément synonyme de sédentarisation. Au contraire, si la Tasmanie devient, à terme, leur terre d’asile, les voyages continuent. Jusqu’en Antarctique d’abord, en passant par l’Amérique du Sud. Cette vie a été racontée. Des livres ont été écrits qui parlent de Lelia, de son frère, de la vie de ses parents et des deux enfants qu’ils ont adoptés en Patagonie. Vivre sur un bateau n’est pas forcément quelque chose d’aisé – surtout quand on a le mal de mer comme Lelia ! Mais les voyages forgent le caractère et permettent sans doute de voir l’existence autrement.

Lelia et Travis se sont rencontrés il y a plus de dix ans. Travis est venu en Australie avec un Working Holliday Visa. Pendant dix ans, ils ont parcouru le le pays. Et gagné de l’argent comme guides. Après dix années à dormir par terre, ils ont décidé de se poser un peu. Ils habitent donc la deuxième maison des parents de Leila. La deuxième, car elle a été construite après la première. La première est une maison bleue, adossée à la montagne. La deuxième, à 20 mètres de distance à peine, est une maison en pierre. Édifiée autour d’un magnifique tronc d’arbre, avec une façade en verre qui laisse entrer la nature dans le séjour. Avec ses économies, Lelia a acheté le terrain à son père, afin de permettre à ce dernier de construire son second bateau. Un voilier rouge baptisé « L’Atlantique ». Un bateau dont l’histoire à elle seule mériterait un roman... Si Travis et Lelia ne veulent pas trop naviguer, ils ne comptent pas pour autant rester en Tasmanie. Une fois que leurs enfants auront un peu grandi, ils iront sûrement au Canada, là où il fait froid. Là où il y a de la neige, car Manon, elle aime la neige. Ou peut-être en Asie, ou bien ailleurs... Enfin, ils iront là où le vent les portera. Le vent et surtout leur bonne humeur.


“Yaya !” Jennifer est tirée de ses songes par Sylvain qui se moque qu’il ne soit que 8 heures du matin et qu’elle n’ait pas bu son café. Il tient absolument à lui montrer ses sauts périlleux. Quand elle aura fini son petit déjeuner, elle ira nourrir les poules et les poussins avec Manon. Peut-être y aura-t-il un œuf ? Après, elle ira tuer les érikas avec Vincent. Il faut mettre une combinaison ridicule mais bon, elle aime bien ça. C’est important de protéger l’écosystème. Pendant ce temps, ses cousins iront sans doute avec Leila et Travis ramasser le bois mort pour se prémunir des incendies. Une grande maison comme ça, il faut du monde pour s’en occuper. “Quelle chance on a ! On serait venu dans trois ans et on ne les aurait jamais connus, on n’aurait jamais vu cette magnifique maison et on n’aurait jamais entendu toutes ces histoires fabuleuses” se dit Jennifer. Il est ‪8h15‬ et une grosse journée de travail l’attend. Vincent et Leander sont réveillés eux aussi. Comme Jenny, ils prennent leur petit déjeuner. Jacob, comme à son habitude, est encore au lit. Ils travaillent aujourd’hui mais ‪demain‬ ils iront marcher en montagne. Car ce qui est fou en Tasmanie c’est que, quand on est un peu lassé des plages de sable fin, on prend la voiture vers l’ouest et on peut aller faire trempette dans des lacs à plus 1 000 mètres d’altitude. “Pourvu qu’il soit moins long à sortir du lit ‪demain‬ ! J’ai pas envie de commencer à marcher à midi !” marmonne-t-elle, en pensant à son cousin encore endormi alors qu’elle a déjà enfilé sa tenue de travail. Si, par bonheur, un jour, vous avez la chance d’aller en Tasmanie, entre les montagnes et les longues plages, n’hésitez pas à passer par Fern Tree. Vous serez bien accueilli. Et en échange de quelques bien minimes, coups de main, vous passerez des moments inoubliables.



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