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“COME ON JENNY ! DRINK THIS WHISKY !”



“Come on Jenny ! Drink this whisky ! - Really, I can’t, I’ve got to drive after - Bull shit, we don’t care about driving !” Il est 14h30 dans le petit pub miteux de McLaren Vale, Jennifer et Vincent viennent d’arriver mais leurs compagnons sont là depuis plus de deux heures. Le temps d’avaler une demi-douzaine de bières et quelques whisky-coca. Il faut dire que, dans les vignes, la journée a été chaude. A midi, ils sont plusieurs à considérer que le travail est terminé. Pas satisfaits de leur nombre respectif de buckets, Jenny et Vincent décident de rester jusqu’à la fin. La journée était trop bien partie pour y mettre si tôt un terme. A eux deux, ils n’étaient pas loin des 100 buckets ! Mais bon, pas de soucis, ils rejoindront les autres au pub juste après. Juste après, c’est déjà trop tard ! Quand on se lève le matin à 5h00, c’est toute la journée qui est décalée. Quand on travaille tous les jours sans être sûrs de sa paie, sans même être assurés de travailler le lendemain, tous les après-midi sont, en fait, des vendredis soirs. En arrivant, Vincent et Jennifer découvrent donc leurs collègues dans un état d’ébriété avancé. Ivan, Australien d’origine serbe et LA, Australien d’origine irlandaise ; ont tout payé aux quatre jeunes Français qui les accompagnent. La

quarantaine passée, ces deux-là ramassent des fruits depuis de nombreuses années. Leurs compagnons sont des backpakers comme Vincent et Jennifer. Ils ont entre 20 et 30 ans, leurs parcours sont différents mais l’envie de voir autre chose, de découvrir le monde, est la même. L’inquiétude du retour aussi. Après un an à vivre dans son van ou dans sa voiture ou chez des inconnus, à frapper aux portes pour trouver une douche ou du travail, tous se demandent comment le retour « à une vie normale » pourra être digéré. Cet « après » n’est proche pour aucun d’entre eux. Louis, le plus jeune, sera le premier à repartir au mois de juillet. Il n’a que 20 ans et commencera une vie d’étudiant. Mais comme les autres, il a peur d’avoir attrapé le virus du voyage, et de ne jamais réussir à en guérir. Ce virus, beaucoup l’on contracté et, en regardant les gens assis à leurs côtés sur les bancs insipides du pub de MacLaren Vale, Vincent retrace le parcours de chacun. Celui d’Alexandre qui voyage pour le moment avec Louis et qui, dans 2 semaines partira pour Perth en laissant son compagnon aller dans l’autre sens, vers Melbourne. Alexis et Amandine, eux, fêtent cet après-midi leur dernier jour dans les vignes. Ils devancent tout le monde et partent vers l’ouest. En chemin, ils espèrent trouver du travail dans les parcs à huîtres. Tous trois ne savent ni quand ils vont rentrer en France ni quel chemin ils emprunteront avant le retour dans l’hémisphère nord. La Nouvelle Zélande ? L’Asie ? Difficile de choisir. Pourtant, d’autres sont certains de leur choix. C’est le cas de ces trois Nantais qui ne sont pas venus travailler aujourd’hui, mais qui les rejoignent au bar. Rodrigue, Fabien et Sébastien veulent partir en Asie, pour revenir une deuxième année en Australie. En France, tous les trois travaillaient. L’un sur des chantiers, l’autre comme mécanicien et le dernier reprenait ses études en master de géographie, le rêve de sa vie. Mais un rêve qu’il préfère vivre sur le terrain plutôt que dans les livres... C’est une drôle d’alchimie que celle du picking... D’un côté les Australiens qui subissent un système qui leur est défavorable et de l’autre les voyageurs. Ces derniers profitent de ce système en consommant le travail comme on va au cinéma. Une semaine ici, deux semaines ailleurs. Un matin on reste au lit et on se dit qu’on rattrapera le lendemain : une journée à la plage vaut bien quelques buckets de perdus... Vincent et Jennifer ont bien conscience de faire partie de ceux que le système avantage, donc ils essaient de sourire et d’être, à leur façon, agréables à ceux dont le travail dépend parfois des humeurs des backpakers. Les vendanges ne dureront pas éternellement et la rumeur se fait de plus en plus insistante : dans une semaine, c’est terminé ! Il va falloir trouver du travail ailleurs. Les backpackers reprendront la route, certains vers Perth, d’autres vers Melbourne. Les Australiens resteront ici, car c’est là qu’est leur vie. Ils chercheront d’autres contrats « casual » dans la construction, le bâtiment, où ils peuvent. Dans un Etat qui, depuis la

fermeture des mines, connaît le plus fort taux de chômage du pays, chercher un boulot n’est évident pour personne. Jennifer et Vincent sont, eux, obligés de rester dans la région jusqu’au 31 mars pour attendre le retour de la propriétaire de Zara. Soit 10 jours après la fin prétendue des récoltes. Eux partiront vers l’ouest, vers Perth. Ils devront parcourir la plus longue ligne droite du monde, près de 150 kilomètres sans un virage. Mais avant ça il faut faire réparer la clim de leur voiture. Et, pour ça, il faut “picker” du raisin...


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