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UNE TRAVERSÉE DU DÉSERT



“15h30 à ma montre, ça fait 5h heures d’hier, donc il fera nuit dans une heure.” L’œil rivé sur l’interminable ligne droite, Vincent compte les heures. Dans le désert, au milieu de nulle part, on change d’un seul coup de fuseau horaire. Il faut donc faire plus attention au temps qui passe qu’à celui qu’il fait ! 140 kilomètres sans un seul virage ! Voilà quatre jours qu’ils ont quitté Adélaïde. Quatre jours qu’ils passent la journée dans la voiture à avaler des kilomètres. D’abord les plaines de la péninsule d’Eyre, puis les falaises arides du Nullabor. 1 800 bornes parcourues... plus que 1 000 pour arriver à Perth. Ils ont déjà fait plus de la moitié de la route, presque surpris d’avoir réussi à arriver aussi loin. Il faut dire que le voyage n’avait pas forcément bien commencé. Dès le deuxième jour, avant même le désert, ils ont passé la matinée coincés dans un garage à Kimba. Leur voiture, qui depuis deux, trois jours manifestait quelques signes de fatigue, voire d’énervement au réveil, avait décidé de bloquer son moteur à 3000 tours minute. Au vu des connaissances lacunaires de Jennifer et Vincent en matière de mécanique, un stop au premier garage s’est avéré indispensable. Une matinée de perdue et 150 dollars laissés au mécanicien pour un petit bout de plastique mal enfoncé dans le moteur. “Normalement ça devrait tenir jusqu’à Perth. Si jamais ça recommence vous le remettez et ça ira” explique l’homme de l’art à Jennifer après avoir cherché pendant près de deux heures d’où venait le problème. Maintenant, il n’y a plus qu’à croiser les doigts et à espérer que leur voiture les amènera à bon port. Quinze jours de route pour arriver à Perth, ça risque d’être long. Quinze jours à devoir monter la tente tous les soirs. Quinze jours à devoir la défaire tous les matins. Quinze jours à alterner entre boîtes de thon, pâtes à la sauce tomate et pommes de terre à chaque repas. Sans même parler de la nuit qui tombe avant 18 heures... il n’est pas dit que les nerfs de Vincent arrivent à supporter ça longtemps.

Si la traversée du désert est longue et ennuyeuse, sa réputation d’être difficile est un peu surcotée, se dit notre aventurier. C’est quand même un drôle de désert où tous les 250 kilomètres il y a une station essence et où, tout le long de la route, on capte la 3G pour partager ses photos sur Facebook ! Vincent s’attendait peut-être à plus d’aventures, plus de galères. Mais la traversée n’est pas terminée... Après une nuit passée dans un îlot de verdure autour d’un étang, ils attaquent les 200 kilomètres qui les séparent de la première ville depuis trois jours. Un dernier effort avant de prendre le temps de se reposer quelques

jours en bord de mer. Mais depuis cinq mois qu’ils sont en Australie, les choses ne sont jamais aussi simples. Ils ont beau organiser, discuter, s’engueuler, prévoir, il y a toujours un hic !

En sortant juste de la route de terre qui les sépare de leur lieu de villégiature à la Nullabor Road, la roue arrière droite de leur Holden Viva décida que le voyage était terminé pour elle. Et tant pis si Jenny et Vincent avaient besoin d’elle pour aller jusqu’à Perth. Elle ne fera pas un kilomètre de plus. Entre la clim et les pneus, ils avaient choisi la clim. Tant pis pour eux ! Les voilà comme des abrutis à 8h30 sur le bas-côté à sortir toutes les affaires du coffre pour prendre la roue de secours. Fort heureusement, Vincent a toujours en mémoire son sujet de philosophie au baccalauréat : l’expérience peut-elle démontrer quelque chose ? À l’époque, après plusieurs feuilles doubles, il avait fini par conclure que l’expérience seule ne démontrait rien, mais que coupée de la raison, elle permettait au moins de ne pas faire deux fois les mêmes erreurs. Se souvenant de l’image de son paternel qui, un mois plus tôt, avait failli défaillir dans une situation similaire, la roue fut changée en moins de 20 minutes. 200 kilomètres plus loin, un nouvel arrêt fut donc imposé à Norseman dans un nouveau garage, cette fois pour y laisser à nouveau 150 dollars, cette fois en échange d’une nouvelle roue.


Un morceau de plastique remit correctement dans le moteur, un pneu neuf : le désert est terminé. La route fut longue, les paysages aux arrêts tous plus époustouflants les uns que les autres. Le souvenir des dauphins jouant dans les vagues au pied des immenses falaises, celui des aigles se reposant sur le bord de la route ou encore celui des cieux étoilés compensent l’ennui et la monotonie du trajet.

Avant de reprendre la route vers Perth, une escale est indispensable. Ne serait-ce que pour passer au moins deux jours sans faire cinq heures de voitures. Sur la côte sud du Western Australia, c’est à Espérance qu’ils pourront enfin faire une vraie toilette. Car si sur la Great Ocean Road, nos voyageurs avaient pu se laver régulièrement, ça n’a pas été le cas cette fois-ci. Une seule douche en cinq jours dans une station-service d’un petit bled de la péninsule d’Eyre...

A-tel point qu’en arrivant en ville le samedi matin ils ont bien cru que leur état de saleté leur en interdirait l’accès. Arrêtés par un barrage de police ils se voyaient déjà en train de payer une nouvelle amende pour un délit dont ils ignoraient encore l’existence. Fort heureusement à 8h du matin les officiers voulaient simplement contrôler le niveau d’alcoolémie de Vincent. Plus de peur que de mal. Plus rien ne les sépare désormais de la propreté.


L’escale n’est pas bien longue, mais leur permet tout de même de faire une balade au cœur de la réserve naturelle du Cap Legrand. Dans un décor paradisiaque, ils vont de plage en plage, croisant en chemin des kangourous qui eux aussi semblent aimer le sable blanc... Une façon de se reposer l’esprit et de se regonfler le moral à bloc avant de repartir pour de longues heures au volant.



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