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LA FIN D'UNE LONGUE TRAVERSÉE


“Plus que deux nuits et on dort dans un lit !” Encerclé par une bonne centaine de moustiques, allongé dans des draps humides, Vincent commence à désespérer. Voilà maintenant trois jours que sa bonne humeur a disparu. Les journées se suivent et se ressemblent. Levé entre 6h30 et 7h00, deux cuillerées de café soluble mélangées à du lait en poudre en guise de petit déjeuner et puis la voiture. Beaucoup de voitures. Alors oui, le désert est terminé, le plus gros du chemin est derrière eux. Mais depuis qu’ils ont laissé Espérance, la pluie les accompagne inlassablement. Cette nuit fut sans doute la pire. Entre les averses incessantes et les milliers de moustiques attendant patiemment leur tour pour sucer du sang frais de jeunes Français. Car ils sont partout. Les jeans ne suffisent pas à se prémunir des piqûres. La seule petite consolation c’est d’en avoir noyé quelques- uns dans l’eau des pâtes et de se dire qu’en portant la fourchette à sa bouche on en mangera sans doute une petite dizaine. Bien faible vengeance au regard de ceux qui, bien vivants, vous piquent encore. Au matin, ils sont toujours là. Au moins 200 à attendre sagement entre la moustiquaire et la tente que quelqu’un daigne sortir pour venir le dévorer. Un peu partout des taches rougeâtres témoignent des morts au combat. Qui au péril de leur vie ont encore essayé de piquer. La piqûre de trop en somme.

Le réveil n’est pas très agréable, l’air est encore très humide et il faut dire que la nuit n’a pas été bonne ! Si les voyageurs sont forcés de se coucher tôt, comme il faut cuisiner avant que le noir ne soit complet, le dîner est en général terminé avant même 18 heures et extinction du feu à 21 heures. Les draps ayant passé la journée sur le toit de la voiture sont encore trempés. Mouillés et pleins du sable que les pieds sales ramènent à chaque nouvelle entrée dans la tente.

“Plus que deux nuits” se répète Vincent... Deux nuits, oui et ils dormiront dans un lit. Plus que trois jours de route pour atteindre Perth. Leander, le cousin de Jennifer qui voyage avec eux, a réservé une chambre dans une auberge de jeunesse. Jennifer et Vincent ont trouvé un hébergement en périphérie de Perth. Enfin, en périphérie, c’est un bien grand mot. Pour tout dire Jennifer n’est pas très douée avec les distances. Alors, quand elle

reçut une réponse positive sur le site couchsurfing, sans même vérifier quoi que ce soit, elle a dit oui. “C’est pas loin ! Si c’est pas loin, c’est que ça doit être proche !” Pas de chance, en Australie le “pas loin” ne veut pas dire proche ! L’hébergement en question est à plus de 200 km de Perth, près de trois heures de route. Pour se référer à une échelle plus européenne c’est la distance qui sépare Lille de Paris.


Mais avant d’en arriver là, la route est encore longue. Les plages de Cap le Grand et leurs centaines de kangourous s’éloignent chaque jour un peu plus. Place à la pluie et aux grands arbres de la Vallée des Géants. Entre les gouttes, ils grimpent même au sommet d’un arbre de 60 mètres à l’aide de tiges de métal incrustées tout autour du tronc.

En camping, on ne rencontre pas que des moustiques. Parfois, au milieu de la nuit, on est réveillé par des groupes de voyageurs qui viennent planter leur tente à deux centimètres de la vôtre. Il arrive aussi, quand il ne pleut pas, que l’on partage un moment au coin du feu à échanger sur nos expériences. Nicholas, jeune Allemand qui termine son tour du monde, note dans un carnet les meilleures recettes de tous les voyageurs qu’il croise. Une manière de se souvenir toute sa vie de ses rencontres éphémères.

Arrivés à Perth et une fois le cousin déposé à son auberge de jeunesse en centre-ville, Jenny et Vincent n’ont plus qu’à revenir sur leurs pas et à parcourir les 200 bornes qui les séparent de Jennifer, Jennifer Dubios. Chef cuistot de son état, elle partage sa maison avec Fiona et retape une caravane afin d’ouvrir un food-truck. Elle a accepté d’héberger les deux voyageurs pour trois nuits. L’occasion de faire la connaissance de Mimi et Kalvin, deux micro-chiens qui superposés l’un sur l’autre ne font pas la moitié de la taille de Zara. L’occasion aussi de redormir (enfin !) dans des draps secs, de faire une lessive (il faut dire que cela fait 3 jours que Vincent porte les mêmes vêtements) et surtout de manger autre chose que les horribles pâtes à la sauce tomate ou autres nouilles chinoises.

Jennifer est une femme engagée. Elle répète à longueur de temps qu’une mauvaise alimentation est la première cause des cancers. De ce fait, elle surveille de très près ce qu’elle mange. Dans un an elle quittera l’Australie pour partir en Espagne (le pays de ses aïeux), encouragée par les scores électoraux de Podemos, qui lui font croire que, définitivement, quelque chose d’autre est possible ! “Vous savez, que votre gouvernement en France est corrompu ?” Entre deux betteraves et trois morceaux de potirons, les discussions politiques succèdent aux conseils nutritionnels. Mais même si Jennifer est impatiente de quitter son pays, elle n’en reste pas moins un peu amoureuse. Le samedi, elle emmène ses deux invités visiter la région. Marché artisanal, plages, dégustations de vins et de chocolats sont au programme. Une escale reposante et agréable avant de reprendre la route vers Perth, hélas toujours sous des trombes d’eau...



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