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UN SAMEDI AUX COURSES


Tous les ans, à la même époque, la petite ville de Broome est en ébullition. Tout le monde se donne rendez-vous à l’Hippodrome. Les femmes sortent leur plus belle robe et leur plus ridicule chapeau. Les hommes aussi se font beaux. Les courses, on y va pour essayer de gagner de l’argent, mais surtout pour montrer qu’on en a. Plus la bouteille de champagne est chère, plus on a envie de l’acheter. Et tant pis s’il ne s’agit que d’un vulgaire “sparkling white wine”. Il faut dire qu’ ici, à part la mer, il n’y a pas grand-chose pour occuper ses week-ends. Pas d’équipe de football en AFL, pas d’équipe de rugby, pas “d’expo bobo” sympa à découvrir, juste un petit marché en centre-ville. Un rien devient donc une occasion de faire la fête. La pleine Lune, par exemple. Une fois par mois, elle se lève sur la marée basse, son reflet dessinant un escalier d’argent. L’occasion pour tous les commerçants de la ville d’organiser un semblant de fête foraine sur la plage... L’occasion pour nos voyageurs de profiter de la moiteur des soirées tropicales en oubliant un peu les recherches de toit et de travail. L’occasion aussi de dire au revoir à Claire et Antoine qui partent le lendemain matin pour continuer leur route vers le nord.

Si la Lune est une raison suffisante pour faire la fête, une course de cheval, avec en plus la télé nationale qui se déplace, est un événement exceptionnel ! Impossible pour tout “Broomman” (homme de Broome) ou Broomewoman (femme de Broome) qui se respecte de rater ça.

Les mains abîmées à force d’ouvrir des canettes, Jennifer vient de finir son travail. Une journée derrière le comptoir à courir partout et à servir des bières. Quelle tristesse tout de

même ! travailler sur un champ de courses sans même avoir le temps d’apercevoir un seul cheval. Un peu plus loin, Vincent, lui, n’est pas logé à la même enseigne. Il est serveur dans la loge du Liberal Party. Pendant que Jenny s’écorche les mains sur ses canettes, Vincent débouche des bouteilles de champagne. Pendant que Jennifer court partout, Vincent regarde courir les chevaux, car personne ne se sert du champagne quand se déroule une épreuve. Pendant que Jenny n’a pas le temps de faire une pause, Vincent a le droit de se servir à manger au buffet. Premier jour sur les champs de course, fortune diverse. Il est juste dommage que, pour une sombre histoire de bières ouvertes trop tard, ce soit aussi peut-être leur dernier... La règle est pourtant claire, quand vous servez une bière à un client : vous devez l’ouvrir. En finissant leur service et en se servant une bière chacun, Jennifer et Vincent ont oublié qu’ils passaient de l’autre côté. De serveurs ils devenaient clients, et les serveurs qu’ils étaient encore, auraient dû ouvrir la bière pour les clients qu’ils étaient devenus. Dommage, espérons que leur boss effacera l’ardoise et qu’ils pourront revenir. Car 10 heures de travail payées 28 dollars l’heure, ce serait vraiment bête de s’en passer.

D’autant plus que le lundi matin, Jennifer a commencé sa semaine avec un entretien d’embauche dans un bar du centre-ville. Après trois heures à servir des bières, elle a eu droit à une seconde chance le jeudi. Et la session de rattrapage a été la bonne ! A tel point que le soir même, elle s’est retrouvée derrière le bar à assister, aux premières loges, à un concours de T-shirt mouillés entourée de deux jeunes femmes en bikini se trémoussant dans tous les sens, à la recherche de tips, en servant bière et whisky. Il faut dire qu’avant de lui proposer de travailler le soir, la nouvelle patronne de Jennifer lui avait demandé : “Ça ne te dérange pas de travailler avec des filles en costume ?” Elle aura juste oublié de préciser le type ou l’absence de costume. A première vue, Broome est une petite ville calme et policée, mais Broome by nigth recèle des ressources insoupçonnées...

Si la recherche de boulot avance, on ne peut pas en dire autant de celle

du logement. Camper tous les soirs peut réserver quelques surprises. Mercredi soir, alors que Jennifer devait se lever le lendemain pour son entretien d’embauche “session de rattrapage” un groupe de jeunes Belges a décidé que cette soirée serait la leur. Après une brève tentative de négociation pour faire baisser le niveau des décibels, il s’est vite avéré que tout dialogue serait infructueux. D’autant qu’à 3 heures du matin, les outre-Quievrain décidèrent de frapper aux portières des voitures pour voir qui étaient Français afin de leur dire à quel point ils les « emmerdaient bien profond »... L’expérience belge oblige, et faute d’autre solution, les voyageurs partent à la recherche de nouveaux emplacements où dormir. Mais l’Australie n’est pas un pays comme les

autres. Dormir n’importe où n’est pas conseillé. Surtout autour de Broome où les crocodiles peuplent le moindre point d’eau. Courageux mais pas téméraires, Jennifer, Vincent, Alexis et Amandine choisissent un joli coin plein d’herbe pour y passer la nuit. Et tant pis si le site attire tous les moustiques de la région. Ils en sont sûrs, ici il n’y a pas de crocodiles. C’est le gentil Australien qui leur a conseillé l’endroit qui l’a assuré. Mais voilà, au milieu de la nuit des bruits de grognements se mêlent à des bruits de pas dans l’eau... Jennifer n’est pas très rassurée. On peut même dire qu’elle a très peur. Paralysée, elle ne sait ce qui est le mieux : attendre sous la tente que le crocodile vienne les dévorer, comme cela arrive souvent aux campeurs imprudents par ici (particulièrement aux Allemands), ou aller voir ce qui se passe. Vincent prend son courage à deux mains, sort en caleçon défier l’horrible bête. Il court vers la voiture, se précipite pour ouvrir la portière, allume les phares et effraie, ainsi, la pauvre vache venue se désaltérer. Plus de peur que de mal. Dommage qu’à peine remis de ses émotions, il oublie d’éteindre les feux. Le lendemain, premier jour de travail au Turf Club, la voiture ne démarre plus. La batterie est à plat. D’où l’avantage de voyager à plusieurs, à l’aide d’une pince crocodile reliant la petite Viva Holden au gros Pajero d’Alexis et Amandine, ils redonnent vie à leur moteur et arriveront à temps pour servir les bières au Parti Libéral. Ouf !


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