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« YOUR ARE THE MOST BEAUTIFUL THING I HAVE EVER SEEN !»



Assis en terrasse, Vincent contemple le noir de la nuit s’étendre sur la mangrove. Il y a une semaine, ils campaient tous au bord de la route. Ce soir, ils ont payé leur première semaine de loyer et Steeve les amène boire un verre dans le bar d’un des beaux hôtels de la ville.

Steeve ? C’est leur nouveau propriétaire. Après plus d’un mois à dormir sous la tente et à lancer des appels au secours un peu partout pour trouver un toit, l’un d’entre eux a fini par être entendu. Mais les choses ne furent pas si simples... Depuis leur arrivée en Australie, Vincent et Jennifer ont dû redoubler d’imagination pour se faire héberger. Leur niveau de tolérance au camping étant assez bas, après plus de 10 jours à dormir dehors, il était grand temps pour eux de passer à autre chose. A Adélaïde, ils se sont occupés d’un chien pendant plus d’un mois pour être hébergés par sa maîtresse partie en vacances, avant cela, ils avaient passé une semaine chez Puj (qui les avait logés dans son garage après leur demande sur le site Couchsurfing). En Tasmanie, ils avaient séjourné dans un motel, puis chez Lelia et Travis en échange de quelques coups de main. Mais depuis leur arrivé à

Broome, personne n’avait répondu à leurs requêtes. Exceptés ceux qui demandaient de payer le même prix qu’une auberge de jeunesse pour dormir dans un dortoir.

Des petits habitants séché étaient dans la maison !

Mais à travers le monde, la communauté des voyageurs est large. Et même dans une ville comme Broome, on finit par trouver un de ses représentants. Steeve a beaucoup utilisé le couchsurfing quand il voyageait en Europe. Malheureusement, il n’a pas de place chez lui mais il vient d’acheter une maison et leur propose de la leur laisser en échange d’un loyer bien en dessous des prix de Broome et pour aussi longtemps qu’ils en auront besoin.

En elle-même, la maison n’a rien d’extraordinaire. Quatre pièces qu’ils partagent avec Alexis et Amandine, un jardin, un toit en tôle qui garde la chaleur (si bien qu’à la nuit tombée la température dans les chambres doit dépasser les 35 degrés). Mais enfin, ils peuvent dormir dans des draps sans sable et n’ont plus à aller jusque Cable Beach pour pouvoir se doucher.

Broome est une petite ville qui change beaucoup. Le prix des habitations joue au yoyo depuis quelques années. Mais ici aussi, la gentrificaton fait lentement son œuvre. Des trottoirs poussent le long des maisons, des éclairages publics aussi. Le “vieux Broome” quartier autrefois uniquement occupé par des Aborigènes voit débarquer de plus en plus d’Occidentaux. C’est ici que se trouve leur nouvelle demeure. L’ambiance y est étrange. Si proche et pourtant si loin des plages de Cable Beach. L’autre matin, ils ont découvert avoir été visités dans la nuit. Une porte mal fermée... Rien n’a été volé mais il faut faire attention avant d’aller se coucher de boucler toutes les issues. Un soir, alors qu’un de leurs nouveaux voisins n’avait manifestement pas l’intention de dormir et écoutait de la musique très fort sur sa terrasse, Vincent et Alexis ont été lui demander de baisser un peu le volume. L’homme, passablement éméché et même shooté, les enverra proprement aller se faire voir. “Je suis australien, je suis ici chez moi, je fais ce que je veux. Si vous voulez dormir, vous n’avez qu’à boire !”

Passer ne serait-ce qu’une semaine dans le vieux Broome donne un aperçu assez précis des conséquences de l’exclusion que subissent les Aborigènes depuis l’arrivée des Anglais. Rarement sobres, ils traînent en groupe dans les rues demandant aux backpakers de leur payer un coup à boire. Au matin, le soleil révèle les cadavres de bouteilles le long des routes, témoins de l’agitation nocturne. Les voitures de police tournent régulièrement pour s’assurer que rien de grave ne se produit. Et, peu à peu, les Aborigènes sont chassés du vieux Broome. Les maisons avec de larges murs et des portiques de sécurité se multiplient. Après avoir perdu un pays et même un continent, voilà qu’ils perdent leurs quartiers. Les armes employées ne sont plus les mêmes, l’exclusion, plus douce, plus lente, est cette fois économique. Mais elle continue et ses conséquences sont tout aussi graves. Pendant que Vincent est perdu dans ses pensés. Jennifer, elle, ne perd pas de temps. Pas une journée ne se passe sans qu’elle travaille. Le compte à rebours avant le retour en France est désormais bien lancé. Et elle ne veut pas perdre une minute. Pour ça, il faut mettre un maximum d’argent de côté avant de quitter Broome. Vendredi soir, pendant que Vincent profite de la mangrove, elle sert des “canapés” lors d’une soirée promotionnelle de l’industrie perlière.


D’ordinaire, elle travaille au Roey, le bar du centre-ville. Et là Jennifer se fait de nouveaux amis. Là, des gens bourrés elle en voit tous les jours, elle commence même à en avoir l’habitude. C’est toujours la même chose : en commandant la première bière ils sont souriants puis, verre après verre, ils deviennent de plus en plus insistants voire parfois un peu agressifs et la sécurité doit s’en occuper. Quand un homme a trop bu, il tombe instantanément amoureux de la fille derrière le bar. C’est une règle qui marche quasiment à tous les coups sauf si l’on est un peu trop lente à le servir. Jennifer devrait être flattée par tous les compliments qu’elle reçoit une certaine heure passée et pourtant des « Your are the most beautiful thing I have ever seen ! », elle en aura entendu, ses collègues aussi et ça commence sérieusement à l’énerver. Mais bon, il faut continuer à servir, bières, cidres, spiritueux. A sourire et peut-être qu’elle n’aura pas à appeler la sécurité.

Ce samedi soir, Catherine et Jennifer sont inquiètes, elles ont peut-être servi une Corona de trop à Paul, un ex-policier qui n’a pas apprécié que le vigile lui dise de partir. Un nez cassé, une flaque de sang et quelques gémissements plus tard, Paul sortira accompagné des flics et des ambulanciers, pas de chance ! Il n’aurait pas dû tenter une clé de bras sur Harry, le vigile du Sports Bar. Après cet épisode, elles sont encore plus vigilantes, refusent de servir deux ou trois clients titubants, car ce n’est guère amusant de nettoyer les flaques de sang. Pourtant Jenny aime bien ce travail, c’est un peu fatigant mais ça paye pas trop mal et c’est « entertaining ». On ne s’ennuie jamais entre les skimpys (les serveuses en maillot de bain) qui proposent aux hommes un peu saouls de leur faire un show privé toute nue pour 250 dollars et les interminables histoires des ivrognes bavards. On retrouve tous les jours les mêmes habitués assis sur leur tabouret attitré, commandant inlassablement la même canette de XXXX Gold.

Vincent aussi aimerait bien bosser. Mais il faut bien admettre qu’il a un sacré train de retard. Comme Jennifer, il a postulé au Roey, comme Jennifer il a eu droit à un essai, mais lui attend encore la réponse. En attendant, il continue de chercher et prend ce qu’on veut bien lui donner. Alors que Jennifer tente de se reposer de son samedi soir agité, Vincent

lui se lève. Avec Alexis et Amandine, ils vont s’occuper d’un jardin en bord de mer. Car en plus de les loger, Steeve leur trouve du travail. Il a fait le tour de son entourage pour savoir qui pourrait avoir besoin de backpackers en quête de quelques dollars. Vendredi et samedi, pendant que Vincent était en test au bar, Alexis et Amandine sont partis couper du bois dans une mangueraies et dimanche, ils partent tous les trois pour ratisser la terre. Pas de quoi devenir riche, mais bon, au moins ça permettra de payer le loyer.



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