IMPERTURBABLE BROOME
- Vincent Bordenave
- 23 juin 2016
- 4 min de lecture

A Broome, les jours s’écoulent imperturbablement... Pourtant, la télévision australienne ne cesse de rappeler aux téléspectateurs que des élections sont à venir. Des spots tentent, tant bien que mal, d’expliquer comment se déroule le complexe processus de vote (l’électeur ne vote pas pour un parti mais classe de 1 à 6 ceux qu’il voudrait voir au pouvoir. Et si aucun parti ne lui convient, il peut classer de 1 à12 les personnalités qu’il voudrait voir le représenter à l’assemblée). Aucune affiche, aucun tract, aucun militant n’est là pour donner ne serait-ce qu’un semblant d’atmosphère électorale. Et si les Australiens avertis et experts en commentaire de comptoir échangent dès le lundi matin, autour d’une bière, au sujet de la tuerie d’Orlando, aucune manifestation de solidarité, aucun rassemblement ne vient rappeler au touriste la réalité du monde extérieur.

Derrière son comptoir, Jennifer, en spectatrice particulièrement bien placée, écoute attentivement les débats qui se déroulent devant elle. Toujours étonnée que des esprits pourtant si alcoolisés soient capables d’un tel niveau d’expertise. Le pochtron australien moyen complexe beaucoup par rapport à son homologue américain. Comme lui, ses ancêtres sont arrivés dans le pays grâce à la glorieuse Angleterre. Comme lui, ses aïeux ont massacré les populations locales. Mais contrairement à lui, il n’a plus, imprimé sur son passeport et sa monnaie, l’effigie de la reine. Et, surtout, quand l’Américain suscite l’admiration du monde occidental, l’Australien est tout juste l’objet de moqueries en raison de son accent et de l’étendue de ses contrées désertiques. Mais s’il y a un sujet dont les Australiens sont particulièrement fiers et sur lequel ils tiennent la comparaison, c’est la question du port d’armes ! En 1996, un jeune homme nommé Martin Bryant a massacré 35 personnes et blessé 37 autres à Port Arthur, en Tasmanie. Armé de son AR-15 automatique, il a froidement tiré sur les gens qu’il croisait dans le but de « faire quelque chose qui fasse qu’on se souvienne de [lui] ». Le gouvernement australien a réagi en limitant fortement le port d’armes dans tout le pays. Et les Australiens, en tout cas les nouveaux amis de Jenny, en sont fiers. C’est peut-être la grande différence entre leur pays et les USA. Car si l’île-continent s’est édifiée sur l’héritage de bandits et d’assassins exilés, on n’y assassine plus aussi facilement. Donc, ce lundi matin peu de débat sur l’homophobie ou sur le terrorisme, tout tourne autour du port d’armes car, sur cette question, on soutient largement la comparaison.
Dans le non rythme de la vie à Broome, nos deux voyageurs ne sont pas logés à la même enseigne. Jennifer, qui porte à elle seule la lourde responsabilité de gagner suffisamment d’argent pour assurer le reste du voyage avant de rejoindre la Nouvelle Zélande, enchaîne les journées au Roey. Les discussions (les tueries de masse n’ayant pas lieu tous les jours) tournent la plupart du temps sur sa nationalité : “Tu ne peux pas être française et anglaise ! Les deux pays se détestent, ils se sont fait la guerre pendant 100 ans.” C’est pas faute d’expliquer que, depuis, Anglais et Français ont été alliés pendant deux guerres mondiales et que le Tournoi de 5 Nations a été créé pour permettre aux haines ancestrales de s’exprimer essentiellement sur un terrain de rugby. Mais quand on a grandi sur une île éloignée du reste du monde, aussi grande soit-elle, il faut croire que toutes ces notions sont difficiles à assimiler...

Jeudi, alors que Jennifer s’attendait à passer une nouvelle journée tranquille à essuyer les verres en débattant du rôle de Jeanne d’Arc, son bout de comptoir est devenu aussi fréquenté qu’un bar branché de la Cinquième Avenue un samedi soir à Manhattan. Un bateau de croisière s’est, en effet, arrêté à Broome, déversant son demi millier de touristes sur le petit port, transformant « la tranquille » cité en une vibrionnante station balnéaire. « Quelle est la bière locale que vous pouvez me proposer ? » Si la question a beaucoup surpris Jennifer, c’est surtout parce que des bières locales, à Broome, il n’y en a pas et qu’expliquer ça aux centaines de personnes impatientes de goûter aux spécialités du cru, ça devient vite fatiguant. Et dire qu’elle se plaignait de ne servir que la même dizaine de personnes à longueur de journée ! De là à passer de 5 à 500 clients... Si les touristes sont sans doute repartis déçus, voire frustrés, de ne pas avoir pu goûter une bière locale, certains furent au contraire enchantés de découvrir la vrai spécialité de Broome : son
concours de T-Shirt mouillé ! Y a pas à dire, au Roey, on a le sens de la fête et on sait occuper une horde de touristes ! Pour Vincent, cette semaine, les journées à Broome ont été encore plus calmes. Pas de travail. Après une autre tentative infructueuse sur le champ de courses, Vincent essaie de se dégoter une nouvelle source de revenus. Pas de nouvelles de Steeve, pas de ménages, pas de champ de mangues à nettoyer... Rien. Juste l’attente d’un coup de fils ou d’un SMS annonciateur d’un job pourvoyeur de dollars.
Heureusement, le week-end finit par arriver. Et, en juin, les fins de semaine sont synonymes de matchs de rugby et de sorties au pub. Un bis repetita de la semaine passée. La Nouvelle Zélande bat à nouveau le Pays de Galles et l’Angleterre domine pour la deuxième fois l’Australie. Mais cette fois, Jenny ne travaille pas et peut enfin supporter son équipe (avec peut-être un peu trop d’enthousiasme). Une belle revanche sur l’humiliation subie pendant la dernière Coupe du Monde!
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