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ELECTION WEEK


Il n’est pas encore midi mais il fait déjà très chaud dans le centre-ville de Broome. Tout le monde s’est donné rendez-vous au marché qui entoure la cour de justice. Pas de compétitions à l’hippodrome ce week-end, pas grand-chose à faire donc pour ceux qui ne sont pas partis camper dans le bush. Un peu plus haut, à côté du Votation Center, le Liberal Party et le Labor Party tiennent un stand pour tenter d’expliquer comment faire pour bien voter. Les élections n’ont pas lieu aujourd’hui mais ceux qui seront absents le 2 juillet, peuvent venir, dès maintenant, voter par anticipation. Pas de tract de propagande, non, le système étant tellement complexe, juste un prospectus qui explique quelles cases cocher pour quiconque voudrait les soutenir. Les deux chambres sont renouvelées, Sénat et Chambre des représentants. Le jeune homme du Liberal Party, grand blond joufflu à l’allure mal dégrossie, n’est pas très à l’aise. Il ne reconnaît pas Vincent, mais ces deux-là s’étaient déjà croisés. Lors de sa pige à l’hippodrome, Vincent avait même hésiter à lui servir à boire tant ses joues rouges lui confèrent un air juvénile. Derrière sa table, il a du mal à répondre aux questions de Jennifer sur le sens de ces élections et sur le fond de son programme. Jennifer l’interroge sur l’immigration : pourquoi son parti pense qu’il faut renvoyer les bateaux de réfugiés en mer ? Lui, s’il est plutôt d’accord avec l’idée, n’est pas spécialiste de la question, difficile donc d’argumenter.




A ses côtés, la militante du Labor Party est un peu plus enthousiaste. Quand elle apprend la double nationalité de Jennifer, elle l’interroge aussitôt sur son sentiment sur le vote britannique. Bien que s’étant déroulé à l’autre bout du monde, le Brexit est devenu un argument de campagne. Sur tous les plateaux télé, le Premier ministre Malcolm Turnbull met en garde contre le chaos économique qui en suivra. La seule solution pour que l’Australie survive à ça, c’est de garder un cap clair. Et pour ça « voter liberal ». A Broome, on ne peut pas dire que la campagne passionne les foules. Pas de meeting, pas de tractage, pas de porte à porte. Les résultats du référendum britannique ont certes trouvé un certain écho, mais c’est surtout parce que la communauté de jeunes expatriés en working holiday visa peuple les bars et les plages de la ville. S’ils avaient pu voter, la plupart auraient choisi le maintien. A plus de 10 000 km de chez eux, ils ne voient pas l’Union européenne comme une contrainte mais plutôt comme un espace de liberté. Voyager et travailler librement sur le vieux continent ne sera désormais plus aussi simple pour ces jeunes qui ont grandi sans frontières et qui n’avaient, jusqu’alors, que leurs propres limites à leur soif de voyage. Certains s’inquiètent et jurent qu’ils ne rentreront jamais chez eux. D’autres se sentent floués. Eux n’ont pas pu voter et le “Out” est en majorité le choix des vieilles générations, qui en quelque sorte, n’auront que peu à subir les conséquences de leur vote.

Les Australiens regardent ça en spectateurs. Certains, la militante du Labor Parti en tête , s’inquiètent de la tournure qu’a pu prendre la campagne du “Out” et des motivations xénophobes du vote. La plupart ne savent pas trop quoi penser. A part peut-être quelques inquiétudes à propos des conséquences immédiates sur les places boursières pouvant nuire à leur économie. Rien de très concret. Seulement ce que peut raconter leur Premier ministre qui, mis en difficultés dans certains sondages, tente tout ce qu’il peut pour rassembler autour de lui. Il faut dire que ce n’est pas la stabilité politique qui caractérise le pays ces dernières années. Avec 5 Premiers ministres en autant d’années, le jeu de chaises musicales a de quoi inquiéter en plus haut lieu.


Loin des joutes électorales, Jennifer continue de servir des bières à toute heure du jour. Parfois, des clients plus ou moins éméchés la prennent dans les bras, car ils n’ont jamais “rien vu qui venait réellement de Paris avant”. Ses journées se suivent et se ressemblent. Servir, débarrasser les tables, nettoyer le comptoir... Seul indice sur le temps qui passe, le turn-over impressionnant autour elle. Après trois semaines, Jennifer fait déjà figure d’ancienne.



Tous ces amis ont démissionné, il n’y a que des nouveaux autour d’elle. Heureusement qu’elle commence à bien connaître les clients, au point de les appeler tous par leur prénom. Reg, par exemple, est un habitué du Pearlers, le bar où Jennifer travaille principalement. Il est accoudé au comptoir avec son habituelle bouteille de Coopers Green et Jacks on the Rock. Comme tous les jeudis soir, Jennifer sert les spectateurs du concours de t-shirt mouillé. Mais ce soir, le spectacle n’enchante par Reg, il a la tête ailleurs. Reg n’a pas d’enfant mais une nièce de 15 ans qui lui parle souvent car son père est « not very comprehensive » , aujourd’hui la jeune fille lui a confié qu’elle n’était plus vierge et ça, ici, c’est un scandale !

Heureusement pour Jenny, le week-end arrive, l’occasion d’oublier les T-shirts mouillés, d’aller à la pêche et, surtout, d’assister à la dernière victoire de l’Angleterre sur l’Australie.


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