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LE PAYS DE L’OR ROUGE




Vincent a mal au dos. A chaque mouvement, il a l’impression de porter le triple de son poids. Et puis il y a cette horrible douleur dans le cou qui le lance et qui ne veut pas le quitter, sans même parler de ses allergies qui le font continuellement éternuer... La chaleur est encore supportable mais le soleil commence à taper méchamment. Dans les travées, les rares bavardages ont fait place au silence complet que seul vient troubler le bruit des tomates qui tombent au fond des seaux. Depuis 7h du matin qu’il est dans ce fichu champ, Vincent a presque perdu la notion du temps. Mais il est sûr d’une chose, ce “bucket” ne se remplit pas assez vite. Quand on ramasse des fruits, on est souvent partagé par des sentiments contraires : à la fois on aimerait se dire que c’est bon pour aujourd’hui, qu’on peut rentrer et soigner ses courbatures en attendant demain mais on sait que si on rentre trop tôt, on n’en aura pas fait assez et donc on n’aura pas assez d’argent. Alors, plié en deux, Vincent continue de ramasser les tomates en tentant d’aller le plus vite possible. Aux environs de 13 heures, sa journée de travail terminée, il jette un œil sur le registre et constate qu’il est bien à la traîne. Il atteint péniblement les 10 buckets en 6 heures de travail, quand ses « collègues » ont tous dépassé la vingtaine. “Non seulement je me fais mal, mais en plus de ça je vais me faire renvoyer pour incompétence. C’est déprimant...”

Un peu plus loin, il aperçoit le shed, il pourrait presque entendre les machines tourner... Ah ! Le shed... Autour de lui les gens en parlent avec envie. “Quand on travaille là-bas, on est payé à l’heure : 22$, tu te rends compte !”“Des fois, une place se libère pour la journée, alors ils en choisissent un parmi nous et là c’est jackpot !”

Claire est au shed depuis lundi. Après avoir quitté Jenny et Vincent à Broome, elle et Antoine ont roulé à la recherche de « leurs jours ». Chaque backbaker en Working holliday peut demander à rester une année supplémentaire en Australie à condition de pouvoir justifier de plus de 88 jours de travail dans une ferme. Antoine et Claire n’ont pas encore décidé de rentrer en France, ils ont donc cherché du boulot dans une exploitation agricole. Voilà deux mois qu’ils ramassent des tomates tous les jours de beau temps. Car ici pas de week-end ! Les seuls “day off” sont ceux que le ciel veut bien vous donner en accordant de temps à autre une journée de pluie. Depuis lundi, Claire a donc changé d’affectation. De 7 heures à 17 heures, elle trie les tomates-cerises sur le tapis roulant du shed. Ses journées sont plus longues mais ses heures mieux rémunérées. Jenny est allée la rejoindre deux jours. L’occasion de gagner un petit peu plus de sous. Parce que, question buckets, Jennifer est à peu près au niveau de Vincent. C’est à dire pas très haut. Heureusement pour eux, ils n’ont besoin que de quoi s’assurer une fin de voyage tranquille. Et même avec leurs 10 buckets journalières, ils arrivent à dépasser les 1000$ après seulement 7 jours de travail sans interruption.

Dans le champ, l’ambiance est internationale. Et les tenues des ramasseurs font penser aux personnages d’Hayao Miyazaki. Afin de se protéger du soleil, de la poussière et des pesticides, beaucoup portent de grands chapeaux et les bandeaux montant au-dessus du nez ne laissent voir que les yeux. Quand la fatigue n’est pas encore trop grande, il arrive que la récolte se transforme en cours de langue. Les jeunes piqueurs deviennent tantôt maître, tantôt élève. Antoine est assez fier, car non seulement son anglais est devenu impeccable, mais désormais il progresse aussi en mandarin ! Car l’équipe de cueillette est en grande partie composée d’Asiatiques, eux aussi en Working Holliday Visa. La plupart d’entre eux sont là pour faire leur « farm days ». Pour eux, l’Australie représente plus un moyen de se faire rapidement pas mal d’argent qu’un endroit où faire du tourisme. “J’en recrute beaucoup, car ce sont les meilleurs travailleurs” explique Kevin. Kevin est le field manager, c’est lui qui gère la cueillette des tomates. Il y a deux mois, Claire et Antoine ont pris contact avec lui. Depuis, non seulement il les a embauchés mais il leur permet de camper dans le jardin de sa future maison.


Après la cueillette, Antoine trouve encore la force d’aider dans la construction de la future demeure. En échange d’un loyer symbolique, Jenny et Vincent partagent les lieux avec Antoine et Claire. Tous les après-midi, Kevin vient les voir. Antoine et lui travaillent un peu à la maison pendant que Vincent et Jennifer se reposent. Kevin est assez bavard et aime passer du temps à discuter avec eux. Il raconte des histoires sur la ferme, sur les backpakers et sur sa maison. Kevin est un patron bienveillant qui se soucie constamment du bien-être de ses employés et il n’est pas rare qu’il ramène une bouteille de rhum à partager. Le terrain surplombe la mer, et les après-midi passées à bavarder aux cotés des kangourous tout en regardant si les baleines ne veulent pas montrer le bout de leur nez font presque oublier le labeur du matin. En somme, une pause pas désagréable sur la route qui les ramène à Melbourne !


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