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PUTAIN, C’EST DUR D’ÊTRE LOIN !

Ils l’ont tous appris de la même manière. Vincent, Jennifer, mais aussi Max, Ulysse, Charlotte, François et tant d’autres. Au réveil. Soit par un email, par un SMS, ou par une alerte sur les téléphones. « Dix-huit morts putain ! c’est reparti comme en janvier. » Puis les détails. Plusieurs fusillades, des bombes au Stade de France. Les premières questions : « Les explosions, c’était dans le stade c’est ça ? Non je crois que c’était dehors. » Le bilan qui s’alourdit. « Ils disent 60 morts à la télé australienne. Ici, ils disent 40. » L’inquiétude ensuite, pour la famille, pour les amis. Dans ce carnage, il doit forcément y avoir des gens de notre entourage.

Mais même ceux qui n’ont aucunes connaissances touchées ou disparues ne se sentent pas soulagés. On est scotché à tout ce qu’on trouve, smartphones, chaînes d’infos locales, France 24. Difficile de démêler le vrai du faux. Les médias australiens ne sont pas les plus fiables. « J’ai vu qu’ils avaient arrêté deux terroristes. Tu es sûr ? Je n’ai lu ça nulle part. »Tout le monde est sur Facebook, Twitter ou sur les lives des différents journaux. C’est la nuit à Paris, ici il fait jour. On remercie Facebook de nous donner des nouvelles de nos amis et de nos connaissances grâce à son application. Et on attend. On pleure aussi. On pleure on ne sait pas pourquoi. Certains veulent se rassembler dès le samedi soir (le matin en France). Sur Facebook un groupe est créé pour un rassemblement le dimanche soir. « Pourquoi attendre dimanche, demande une jeune fille. C’est aujourd’hui qu’on veut se recueillir. » Puis un message « Pour des raisons de sécurité le rassemblement aura lieu lundi à 18h00. » (Le dimanche sur Fed Squad c’est le Polish Festival). Les commentaires pleuvent. « Pour ceux qui le veulent, nous seront dès ce soir à Fed Squard. » Mais même dans des moments aussi tristes, des petits chefs sans charisme veulent s’approprier la vedette et tente de privatiser la douleur. Une jeune fille qui se présente comme l’organisatrice du « je suis Charlie-Melbourne » explique : « Vous êtes têtu, Fed Square est un lieu privé vous ne pouvez vous rassembler comme ça. » Aucun événement ne doit se tenir sans son accord. Le samedi à 18 heures, ils étaient une quinzaine sous l’écran géant. Peut-être étaient-ils têtus, mais ils avaient surtout l’air triste. Perdu. Loin de leurs proches qui ont vécu l’horreur. Sur l’écran on passe les infos. On parle de Paris. Puis on enchaîne sur une jeune fille disparue, avant d’annoncer le prochain combat de free fight féminin. A 19 heures, le flash info est terminé. On reprend la programmation normale avec le match de Cricket qui oppose Nouvelle-Zélande et Australie. Une revanche de la dernière Coupe du Monde de rugby en somme. Comprenez que c’est important.

Etrange sentiment que celui d’être loin. Autour des Français, les Australiens sont compatissants. Le dimanche matin, parce qu’il a l’air trop mal le patron de Vincent le dispense de travail en lui disant : « Take your time, and comme back when you want. » D’autres témoignent du même genre de geste « mon ancien patron m’a appelé pour savoir comment j’allai, si je connaissais des gens. Juste pour prendre des nouvelles » raconte Max, jeune backpaker qui s’inquiète de l’état dans lequel il retrouvera son pays dans un mois à son retour. D’un côté ces gestes et de l’autre ce sentiment étrange d’être de l’autre côté de la terre. De marcher dans la rue un dimanche au soleil. De voir les gens s’amuser, prendre du bon temps. De voir les gens vivre tout simplement. Et pendant un dixième de seconde leur reprocher. Car à 20 000 km d’ici la vie s’est arrêté l’espace d’un instant.

Le lundi soir plusieurs centaines de personnes sont présentes. Sur Facebook certains expliquent ne pas vouloir venir, dégoûtés par l’organisation. Il faut dire que l’ambiance est étrange. Comme une ambiance carnaval. L’après-midi, la page Facebook de l’événement a été secouée par de longs débats sur la couleur des T-shirts. Dans un coin de la place, un stand tenu par des jeunes où on peut se faire taguer le symbole de paris sur son son T-shirt. Les organisateurs s’activent à la tribune. Tout doit bien fonctionner. Les caméras sont là, le soleil aussi, il ne manque plus que le monde qui ne tarde pas à arriver. La place se remplit doucement, mélangeant Français et Australiens. Beaucoup de jeunes, des backpaker pour la plupart. L’ambiance change petit à petit.

On reconnaît des visages que l’on a déjà croisés. Ici, "Ska" qui a tagué plus tôt dans les rues de Melbourne en l’honneur de Paris. Là des jeunes gens aperçus plus tôt dans le tram. Les visages sont fermés. « On est là pour montrer qu’on ne cédera pas à la peur » explique François présent au rassemblement avec ses amis Pierre et Max. Il a quitté la France le 9 janvier dernier. Deux jours après la tuerie de « Charlie Hebdo ». En haut de la place, la journaliste de Skynews fait ses réglages.

A 18h00 la cérémonie commence. Celle qui a organisé le « je suis Charlie-Melbourne » semble rodée. Les discours des responsables politiques de Victoria se succèdent. On retiendra celui de la leader de l’opposition, rappelant que si les migrants fuit leur pays s’est pour fuir ce genre de scène et que l’Australie ferait bien d’y réfléchir avant de fermer ses frontières ! Puis la Marseillaise suivie d’Advance Australian Fair chanté comme dans un concert de Rock (ou dans un match de rugby, à tel point que l’espace d’un instant Vincent a cherché les joueurs des yeux). La cérémonie officielle se termine. Les gens ne veulent pas partir. Spontanément, ils forment un cercle, laissant ceux qui le veulent venir déposer au centre, fleurs, dessins, messages et bougies (pourtant interdites par les organisateurs…) Après une dernière Marseillaise, a cappella cette fois, la foule se disperse. Ceux qui doivent reprendre la route la reprendront demain peut-être. Ceux qui doivent travailler iront travailler. Jennifer et Vincent iront vendre leurs ampoules. Parce qu’après tout la vie continue… Mais putain qu’est ce que c’est dur d’être loin.


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